- Raphaël Gazel
- 5 juillet 2024
La dynamique des reports de voix et les conséquences sur l’Assemblée nationale
À la veille du second tour de ces élections législatives, la confusion règne, chaque personnalité politique semblant improviser. Cependant, le nombre élevé de désistements bouleverse la donne et semble réduire la majorité du RN à l’Assemblée, qui, selon les projections, serait loin d’obtenir une majorité absolue.
En effet, 215 désistements ont été annoncés pour entraver le Rassemblement national : une position quasi systématique chez le Nouveau Front Populaire, dont les candidats arrivés en troisième position sont restés fidèles à la ligne de conduite édictée par l’union. De plus, cette position est majoritaire chez Ensemble, dont près d’un candidat sur cinq a choisi de se maintenir dans les circonscriptions gagnables par le RN. En revanche, seuls 2 désistements ont été annoncés chez les Républicains.

Selon une enquête réalisée les 2 et 3 juillet par Harris pour Challenges, RTL et M6, et prenant en compte cette configuration, les projections de sièges sont de 190 à 220 pour le RN, de 159 à 183 pour le NFP, de 110 à 135 pour Ensemble et de 30 à 50 pour LR. Ces projections sont, bien entendu, à prendre avec des pincettes, tant un grand nombre de circonscriptions proposent un second tour à l’issue incertaine.
Une Assemblée tripolaire
Nous serions ainsi en présence d’une Assemblée polarisée autour de trois blocs politiques : un bloc RN, un bloc d’union de la gauche et un bloc modéré qui regrouperait Ensemble et LR.
Cette configuration rendrait l’exercice du pouvoir compliqué tant les positions politiques des uns et des autres semblent difficilement conciliables, alors que le vote d’un texte de loi nécessiterait au moins l’accord d’un bloc et d’une partie conséquente d’un deuxième. Enfin, le recours à l’article 49-3 de la Constitution, utilisé 23 fois sous le mandat d’Élisabeth Borne, est beaucoup plus risqué faute d’une majorité claire, car le gouvernement peut alors être renversé si la majorité des députés votent une motion de censure.
On peut alors imaginer, entre autres, trois scénarios…
Le blocage
Un Premier ministre aussi « neutre » que possible est nommé. Chaque bloc politique campe alors sur ses positions et refuse de faire tout compromis, ne souhaitant pas se mettre à dos son électorat. C’est notamment une posture envisageable pour le RN qui ne peut guère trouver d’alliés et n’a pas intérêt à se montrer coopératif s’il n’est pas aux commandes.
L’ouverture à droite
Jordan Bardella est nommé Premier ministre et il l’accepte, mais il ne dispose pas d’une majorité lui permettant de mettre en œuvre les grands axes du programme de son parti. Il démissionne alors assez rapidement et peut affirmer qu’il aura essayé et essuyé le grippage des autres blocs, renforçant le sentiment de frustration chez les partisans du RN, et se positionnant pour la suite.
La formation d’un bloc modéré élargi
Une personnalité issue du NFP est nommée Premier ministre et l’accepte. Il s’agirait alors d’une figure non clivante et à même de rassembler des votes au-delà du NFP. Des personnalités comme François Ruffin (qui a pris fortement ses distances avec LFI et Jean-Luc Mélenchon), Raphaël Glucksmann, Marine Tondelier ou encore Laurent Berger qui sont des figures modérées et assez populaires.
Sa capacité à gérer dépendrait alors de la recomposition des blocs hors FN : le bloc radical de gauche (NFP) pourrait se décomposer, avec d’un côté LFI et les éléments les plus radicaux, et de l’autre les élus PS et écologistes, qui pourraient constituer un bloc modéré avec Ensemble et LR pour tenter d’atteindre une majorité. Mais un tel bloc ne serait possible que si ces partis ont suffisamment d’élus dimanche… et la clé de sa viabilité pourrait être entre les mains d’élus ex-LFI qui – à l’image de François Ruffin – pourraient rejoindre ce bloc, avec sans doute quelques arrière-pensées pour les élections présidentielles de 2027.
Dans tous les cas, la situation devrait être d’une grande complexité et particulièrement instable.